Signature du manifeste pour l'engagement des scientifiques
Manifeste
Manifeste pour la liberté d'engagement des scientifiques Cher.e.s collègues, Nous demandons à votre [conseil/comité/société] de soutenir les scientifiques qui exercent leur liberté d'expression académique en alertant sur les crises écologiques et climatiques à travers l’engagement non-violent de leur choix. Le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité, qui se déroulent à des vitesses jamais observées dans le passé, annoncent des crises sans précédent. Les premiers effets s'en font déjà sentir et augurent un futur dramatique pour l'ensemble des êtres vivants et plus particulièrement l’humanité. La première mission des institutions et acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche publique (ESR) est de produire des connaissances scientifiques qui sont un bien commun au service de l’intérêt général [1]. Cela fait plus d’un demi-siècle que des dizaines de milliers d’articles scientifiques documentent le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité et alertent les décideurs sur l’urgence à agir. Les scientifiques du GIEC [2] et de l’IPBES [3] ont produit et publié des synthèses toujours plus complètes, offrant non seulement aux décideurs des constats scientifiques solides, mais décrivant également des scénarios et des solutions pour prévenir et atténuer les effets des crises à venir. Ces efforts sont globalement restés vains et leurs impacts largement en-deçà des enjeux [4,5], ne faisant qu’accentuer l'urgence. La constitution d'un socle de connaissances fiables n'a donc pas suffit à mettre en œuvre des actions adaptées. La seconde mission de l’ESR, tout aussi importante, consiste à diffuser ces connaissances auprès du public, afin de répondre aux besoins de la société et de permettre à chacun·e de faire des choix éclairés. Or, on ne peut que constater un défaut d'information des populations sur les enjeux qui les concernent. Ce défaut est dû d'une part à la difficulté de diffuser la connaissance dans un contexte de crise de la médiation scientifique qui participe à la confusion entre faits scientifiques documentés et opinions. A cette difficulté se rajoute la fabrique du doute par la propagation de discours contradictoires venant d'acteurs ayant tout intérêt à repousser les changements qu'impliquent les transitions écologique et sociales [6, 7]. Il est très inquiétant de voir aussi augmenter, à la mesure de l’urgence, des communications publiques ou gouvernementales qui relèvent du greenwashing, à tel point qu’elles sont sujettes à des sanctions judiciaires [8] et à des désaveux d’institutions publiques et de ses membres [9]. Aujourd’hui, l'accès à ces connaissances scientifiques permettant une appropriation des enjeux écologiques systémiques est nécessaire pour l’ensemble des citoyen·ne·s et notamment les plus vulnérables, qui subissent en premier les effets de ces crises [10]. Dans ce contexte, il est du devoir des scientifiques, au service des citoyen·nes, d'investir de nouveaux moyens d'interagir avec la société, en entrant dans l'espace public et médiatique pour promouvoir les connaissances scientifiques et dénoncer de toutes les manières possibles les entreprises de désinformation dont nous sommes les témoins. Le devoir de neutralité est parfois mis en avant pour discréditer l'engagement des scientifiques dans le débat public. Il est essentiel de rappeler que la neutralité de la science reste un idéal : si la méthode scientifique vise à l'objectivité, nos objets de recherche, nos questionnements, nos financements, les applications qui sont faites de nos résultats sont le produit de nos sociétés humaines et en portent les orientations. De toutes les façons, la neutralité scientifique ne s’oppose pas à la mission d'alerte du public, en particulier devant l'accumulation des preuves des crises écologiques et de leurs impacts négatifs sur les populations et les systèmes sociaux et économiques. Ce rôle de lanceur·se d'alerte des scientifiques s'inscrit dans la notion d'engagement personnel, c'est à dire toute prise de position publique sur des enjeux moraux, politiques ou sociaux [11]. Les prises de paroles médiatiques, le soutien à des causes, la participation à des manifestations ou à des actions militantes de désobéissance civile non violentes sont différentes modalités, toutes porteuses de cet engagement. Dans le cas particulier des scientifiques, cet engagement relève directement de la liberté académique [12], qui inclut le droit des universitaires "d'exprimer librement leurs opinions sur l’institution ou le système au sein duquel ils travaillent ainsi qu’à diffuser sans restriction le savoir et la vérité" [1, 13]. Pourtant, certain·e·s collègues subissent des pressions ou des sanctions de la part de leurs institutions qui leur reprochent l'exercice de leurs libertés académiques. Récemment, Rose Abramoff (géologue) a été licenciée de l'Oak Ridge National Laboratory (USA) pour avoir brandi une banderole lors du congrès annuel de l'American Geophysical Union pour encourager ses collègues à s’engager dans l’espace public. Le motif de licenciement avancé : s'être livrée à une activité personnelle dans le cadre d’une mission professionnelle [14]. Cet exemple démontre, s'il en était besoin, que les institutions de recherche et d'enseignement supérieur ne sont, pas plus que les universitaires qu'elles emploient, des entités neutres. Les directions de ces établissements sont parfois également soumises à des pressions extérieures venant de financeurs ou d'administrations de tutelle, qui peuvent les inciter à s’écarter de leur vocation initiale et à exercer un droit de censure illégitime sur l'engagement public de leurs agents. A l'inverse, des institutions comme l'Université de Lausanne [11] ont conclu à la nécessité de soutenir et de défendre cette liberté académique et de ne pas entraver la liberté d’expression et d'engagement des universitaires. Il est désormais crucial que la communauté scientifique dans son ensemble, et notamment les corps intermédiaires que sont les sociétés savantes et les instituts se positionnent massivement pour défendre l'engagement des chercheur·se·s comme un des piliers de leur liberté d'expression. Nous invitons votre [conseil/comité/xxx] à se positionner en faveur de la liberté d’engagement des scientifiques, en vous saisissant de ce texte et en contribuant à sa diffusion dans votre communauté dans sa version originale ou amendée. Références : [1] UNESCO, Recommandation de l’UNESCO concernant la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur, 1997. [2] Sixième rapport d'évaluation du GIEC, 2021-2023 [3] Rapport d'évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques de l'IPBES, 2019 [4] I. Stoddard et al., Three Decades of Climate Mitigation: Why Haven’t We Bent the Global Emissions Curve?, Annu. Rev. Environ. Resour., vol. 46, 1, pp. 653–689, 2021 [5] Secrétariat de la Convention sur la Diversité Biologique, Perspectives mondiales de la diversité biologique 5, 2020 [6] C. Bonneuil, P.-L.s Choquet, B. Franta, Early warnings and emerging accountability: Total’s responses to global warming, 1971–2021, Global Environmental Change, vol. 71, 10238, 2021 [7] N. Oreskes, “The Scientific Consensus on Climate Change,” Science, vol. 306, no. 5702, pp. 1686–1686, 2004 [8] L'Affaire du Siècle, https://laffairedusiecle.net/ [9] Rapport grand public 2022, Haut Conseil pour le Climat, 2022 [10] Intégrer les enjeux environnementaux à la conduite de la recherche – Une responsabilité éthique, Rapport du Comité d'Ethique du CNRS (COMETS), AVIS n°2022-43 [11] L’engagement public des universitaires: entre liberté académique et déontologie professionnelle, Rapport du Groupe de travail sur la recherche et l’engagement de l'Université de Lausanne (UNIL), 2022 [12] Loi Savary, 1984; Code de l'Education, 2000; Principe fondamental reconnu par les lois de la République; Cour Européenne des Droits de l'Homme, Mustafa Erdoğan et autres c. Turquie, requêtes no 346/04 et 39779/04, arrêt du 27 mai 2014, p. 40. Cité dans Kaye, D. (2020). Rapport du Rapporteur spécial, p. 11. [13] Cour Européenne des Droits de l'Homme, Sorguç c. Turquie, requête no 17089/03, arrêt du 23 juin 2009, par. 35. Cité dans Kaye, D. (2020). Rapport du Rapporteur spécial, p. 11. [14] Désobéissance civile : « Les climatologues sont aussi des citoyens et des êtres humains », Le Monde, 26 Janvier 2023
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